Entropic Now
À l’automne 2020, Christophe Haleb a investi joyeusement les espaces de LUX avec le premier volet de l’installation audiovisuelle et chorégraphique Entropic Now et la présentation de la série filmique Éternelle jeunesse. Au fil de la saison, l’artiste aux multiples facettes poursuit son travail d’exploration des jeunesses de nos territoires.
Un processus d’écriture de l’image et du son à l’écoute d’une jeunesse plurielle à partir de laquelle s’inventent de nouvelles formes de narration.
Cette exposition vient finaliser trois années fécondes d’association entre LUX Scène nationale de Valence et le chorégraphe Christophe Haleb. Elle se compose de deux films documentaires Le Chant du Kiwano et Baby Boom, d’un archipel multi-écrans d’images et d’une constellation de photographies qui investissent LUX. L’occasion d’opérer un dialogue rétrospectif entre les nombreux films qu’il a réalisé tout au long de ce compagnonnage et les photographies de Sébastien Normand, complice de longue date, associé au projet.
Ce processus artistique humainement riche et bienveillant s’est progressivement construit sur le territoire de l’agglomération de Valence entre l’été 2019 et l’été 2022, ouvrant un dialogue autour d’une pluralité de pratiques que la jeunesse d’aujourd’hui traverse et interroge avec lucidité.
La mise en relation des nombreuses images fixes et en mouvements prélevées et fabriquées à partir du réel quotidien de cette jeunesse drômoise rencontrée à Valence et à Romans-sur-Isère, construit ici l’espace de l’exposition. Nous sommes invités à en arpenter librement les contrastes, les forces et les référents, à cheminer dans ce terrain sensible d’être jeune au monde et conscient, dans cet espace-temps jalonné d’incertitudes et de luminosité, avec ce sentiment d’exister qui nous fait nous sentir très vivant.
Il y a dans l’entrelacement des corps et des environnements, des mouvements de caméra et des cadres d’actions, dans ce passage entre intérieur et extérieur, un déplacement du medium de l’image et de la danse qui est en jeu. Si ENTROPIC NOW observe et interroge nos représentations de la jeunesse, c’est en célébrant ses vertus et ses potentialités, mais aussi sa non-conformité, à travers ses lieux de rassemblement et d’évasion, ses paroles d’adolescence, ses gestes de lutte et d’apprentissage, comme autant de points d’ancrage à la création de nouveaux récits filmiques et photographiques.
Trois films documentaires - Eternelle Jeunesse # Valence, Le chant du Kiwano (50 minutes) et Baby Boom (52 minutes) - et deux archipels multi-écrans ont été réalisés et projetés durant ces trois années d’investigation dans Valence et son agglomération ainsi qu’une constellation de photographies, affichées à LUX, au lycée Bouvet, au lycée Terre d’Horizon, à La Cordo, et dans l’espace public sur des supports d’affichage municipaux Decaux à Romans et à Valence.
Christophe Haleb
Une convergence
Christophe Haleb et les jeunes ne se comprennent pas toujours – le pourraient-ils seulement ? On dira plutôt qu’ils se désarçonnent mutuellement, et que, sur cette base, ils développent des complicités singulières.
Et ces complicités offrent à l’artiste un terrain depuis lequel opérer un travail proprement politique, à savoir : activer l’imagination. Activer l’imagination des jeunesses, ce n’est pas les inviter à se calfeutrer dans des imaginaires étanches, mais plutôt les inviter à ouvrir une brèche à l’endroit de la jointure entre le monde tel qu’ils le vivent et les projections de mondes désirables et indésirables qui les habitent et les hantent.
Ce faisant, Christophe Haleb n’idéalise pas la jeunesse. Il donne à entendre ce qu’elle invente, mais aussi le poids de ce dont elle hérite. Ce qui la nourrit, mais aussi ce qui la contraint ; ses tactiques pour se défaire de ses chaînes, mais aussi ses tactiques pour se conformer aux règles édictées avant elle. Si la jeunesse nous enivre de son élan vital, elle nous rappelle également, dans un même mouvement, notre responsabilité à son endroit.
Un narratif trop commun voit dans la jeunesse une génération dotée du pouvoir (ou du devoir ?) d’expier les déviances de ses aînés. Ceux qui ont prédaté le futur, l’atmosphère et l’invisible comptent aujourd’hui sur la force révolutionnaire des jeunes pour sauver ce qu’il reste à sauver. Mais « nous ne sommes pas tous des héros », répond l’une d’entre elles. Garantir l’éternité des jeunesses à venir est une tâche qui ne peut incomber qu’à l’ensemble des âges du vivant.
Alors l’œuvre de Christophe Haleb repose peut-être sur une gageure. Pourrait-on conjurer l’indifférence aux lendemains du vivant en conjurant l’indifférence aux quotidiens de nos jeunesses ? Pourrait-on imaginer que s’échafaude, quelque part dans l’entremêlement de ces images, de ces sons et de ces gestes, l’espoir d’une convergence de nos attentions ?
Martin GIVORS, chercheur associé, anthropologue au FNRS Regard extérieur sur le processus de création d’Entropic Now
Photographies réalisées à partir d'un atelier dans les lycées Terre d'Horizon et Auguste Bouvais de Romans-sur-Isère