Écrit sur du vent
Lorsqu’au trio formé par Kyle, fils névrosé d’un roi du pétrole, Mitch, son ami d’enfance spécialiste du forage et Marylee, sœur-ennemie du premier, amoureuse depuis l’enfance du second et allumeuse notoire, vient s’ajouter Lucy, une jeune femme pour laquelle Kyle devient tout feu tout flamme, cela forme un quatuor explosif…
Le Secret magnifique s’ouvrait sur un hors-bord lancé à pleine vitesse, sur un lac ; Écrit sur du vent commence par les plans d’un roadster jaune rutilant, fonçant de nuit sur fond de derricks aux mains d’un conducteur passablement éméché. Plus qu’aucun autre de Sirk, Écrit sur du vent est « le film qui en fait trop » : côté personnages, ce sont les abus éthyliques et amoureux d’un fils de famille torturé, et l’excès érotique de sa sœur nymphomane (le mambo endiablé qu’elle danse en serrant la photo du seul homme qui se refuse à elle est inoubliable) ; esthétiquement, c’est la rutilance des couleurs successives, échevelées comme jamais. À propos de cette flamboyance chromatique, François Truffaut évoque non pas un cinéaste « baroque » (comme Sirk lui-même qualifia sa démarche), mais réaliste : « On voit ici Robert Stack dans la pénombre d’une chambre bleue s’élancer dans un couloir rouge et s’engouffrer dans un taxi jaune qui le dépose devant un avion acier. Toutes ces teintes sont vives, franches, vernies, laquées à faire hurler n’importe quel peintre, mais ce sont les couleurs du XXe siècle, celles de l’Amérique, les couleurs d’une civilisation basée sur le luxe et le confort, des couleurs industrielles qui nous rappellent que nous vivons à l’âge des matières plastiques. » Tout aussi fondée, pourtant, est la façon dont Louella Interim, à rebours de Truffaut, renvoie le film à des références anciennes : « Il n’est plus à démontrer que les tailleurs stricts de Bacall ou la robe fuschia de Marylee à sa première apparition, la robe de chambre en satin de Kyle ou la combinaison de Mitch ne sont que les substituts modernes des tuniques et toges qu’arborent leurs frères eschyliens. Trop de noirceur, trop de violence, trop de désespoir les habitent pour qu’on puisse encore se référer à l’univers du roman-photo (…). Rien ne subsiste de la mièvrerie inhérente au genre, et c’est plutôt aux fureurs et aux outrances des derniers élizabethains (…) qu’on ne peut s’empêcher de penser. » Jean-François Buiré