Chien enragé
Un film noir admirable et à l’atmosphère oppressante qui met à mal les travers de la société japonaise.
Le jeune inspecteur de police Murakami découvre avec stupeur qu’il s’est fait voler son arme de service dans un autobus bondé. Rongé par la culpabilité, il décide de retrouver le voleur au plus vite et rejoint pour cela les rangs de l’inspecteur Sato, à la carrière prolifique. Lorsqu’il apprend que son colt a servi à tuer un innocent, Murakami n’a plus qu’une chose en tête : mettre la main sur le coupable avant que son arme ne serve à nouveau…
Tourné en 1949, Chien enragé est le premier film produit par la Shintoho, société de production créée par des anciens de la Toho suite à une succession de grèves et de conflits internes au sein de la maison mère. À l’origine, il s’agit d’un roman qu’Akira Kurosawa écrivit sous l’influence de Georges Simenon – dont le Japonais était un grand admirateur – et qu’il transposera sous forme de scénario. Dans ce modèle de film noir qu’est Chien enragé, Kurosawa parvient à créer un climat véritablement angoissant qui se ressent dès les premières images du générique – avec ces plans de chien haletant – et à travers la chaleur étouffante qui semble écraser les personnages à tout moment. Sa peinture des bas-fonds de Tokyo est saisissante de réalisme avec ses bouges, ses trafics en tous genres provoquant l’ire de ses habitants, las de tant de précarité. La ville devient ici un personnage à part entière, décidant de la trajectoire de ses résidents. Encore une fois, Kurosawa utilise le thème du double avec les personnages de l’inspecteur idéaliste Murakami et celui du criminel Yusa, anciens soldats démobilisés ayant chacun suivi deux voies opposées. Ce sont eux les « chiens enragés » de ce film, ces hommes à la violence plus ou moins contenue qui lutteront jusqu’au bout contre leur définition de l’injustice. Chien enragé reprend à la fois les codes du film noir américain (mise en scène nerveuse, personnages et thèmes clés du genre) et ceux du néoréalisme italien (emprise de la sociologie sur le récit). Ce mélange des genres confère à ce film son caractère dénonciateur, éminemment politique.