Bigamie
À San Francisco, Harry et Eve Graham, mariés depuis plusieurs années, veulent adopter un enfant car Eve est stérile. Ils doivent faire l’objet d’une enquête de moralité serrée. L’enquêteur découvre qu’à Los Angeles où il se rend pour son travail, Harry a une autre épouse, avec laquelle il a eu un enfant…
Le titre original du film et son titre français diffèrent plus qu’il ne semble au premier abord : The Bigamist renvoie à un personnage particulier ; Bigamie s’en tient à une question abstraite, sans l’ancrer dans une individualité. Le titre anglais correspond bien mieux que sa « traduction » à l’humanisme d’Ida Lupino. Incarnant un personnage bigame par désœuvrement ou par faiblesse, qui aurait pu être antipathique ou ennuyeux, Edmond O’Brien, pourtant acteur dans nombre de films importants (LesTueurs, L’Enfer est à lui, La Comtesse aux pieds nus, L’homme qui tua Liberty Valance et La Horde sauvage), trouve ici son meilleur rôle, grâce à la qualité du regard qui est porté sur lui. C’est un plaisir de retrouver Lupino actrice dans un film qu’elle réalise, d’autant qu’elle interprète un personnage très touchant : un cœur solitaire qui, une fois amoureux, oublie tout égotisme au profit de l’homme aimé. « Face à elle » (elles ne se croisent jamais sauf dans la scène finale — Lupino aurait d’ailleurs engagé deux opérateurs différents pour filmer chacune d’entre elles), Joan Fontaine confère intérêt et estime au rôle moins immédiatement aimable de la première épouse, un peu carriériste.
« Ce qui est terrible, sur cette terre, c’est que tout le monde a ses raisons », disait Jean Renoir dans son film La Règle du jeu. Sans devenir inconsistant, Bigamie est une belle illustration de cet aphorisme. L’ironie du sort veut que le film ait été écrit par Collier Young, qui avait divorcé de Lupino en 1951 et épousé un an plus tard… Joan Fontaine : Young fut ainsi — successivement — le mari des deux épouses du bigame interprété par O’Brien ! Jean-François Buiré