Haute pègre
Gaston et Lilly, deux escrocs tombés amoureux, décident de s’associer. Alors que l’Europe entière parle de leurs méfaits, ils jettent leur dévolu sur une nouvelle victime, la riche et belle Mariette Collet. Mais Gaston va vite tomber sous son charme… Lubitsch lui-même estimait n’avoir jamais atteint une perfection stylistique égale à Haute pègre. Le moteur de cette œuvre maîtresse est la pulsion. Celle qui lie Monescu (Herbert Marshall), tour à tour, aux sublimes héroïnes campées par Miriam Hopkins et Kay Francis. Celle qui pousse des héros kleptomanes à voler les objets et à dérober les cœurs. La symétrie lubitschienne devient un motif omnipré sent : narrative (au trio Lilly-Gaston-Mariette répond celui de Filiba-Mariette-le major) aussi bien qu’architecturale (les chambres de Gaston et Mariette séparées par une horloge, les deux étages de la résidence, cette symétrie peut s’amplifier jusqu’à la multiplication mais jamais la redondance). Avec son élégance minimaliste, son pouvoir allusif et son absence de second degré (Lubitsch ne cache pas la gravité derrière sa légereté, il est léger et grave), Haute pègre peut passer pour le mètre étalon du chic cinématographique ou du grand art, ce qui pour une fois revient au même.
Trouble – Un lit – in Paradise. Tout Lubitsch en une litote ouvrant le générique. De tous ses films, le cinéaste considérait celui-ci comme le plus achevé : « Du seul point de vue du style, je pense n’avoir rien fait de meilleur, ou d’aussi bon, que Haute Pègre. » On ne saurait lui donner tort. Et tout en étant affaire de style chez Lubitsch… Trouble in Paradise réussit l’injonction de son pickpocket de haut vol à son valet d’hôtel : mettre la lune dans une coupe de champagne. À l’arrivée du parlant, alors que tant d’autres de ses confrères barbotent encore, il atteint ici une apogée en grâce du cinéma verbal qui sera peu concurrencée… sinon parfois par Lubitsch lui-même. Mais pour ce maître issu du muet, la mise en scène, s’il elle est affaire de langage, l’est d’abord de langage visuel. Trouble in Paradise élabore un système de commentaire par montage et inserts, arbore une intelligence graphique, qu’on oublierait presque tant il porte haut les possibilités de la langue anglaise, et condense en moins d’une heure et demie tout ce qui travaille en profondeur l’œuvre lubitschienne, constituant une porte d’entrée idéale dans une œuvre où l’on aime sourire et chavirer en chaque titre.
— N. T. Binh