Le Secret magnifique
Alors que Bob Merrick, playboy casse-cou, survit à un accident de hors-bord grâce à un respirateur artificiel, celui-ci fait défaut à Dwayne Phillips, chirurgien estimé, qui meurt d’une crise cardiaque.
Face à sa veuve, Merrick croit se racheter à peu de frais, mais provoque une nouvelle catastrophe…
Douglas Sirk raconte que lorsqu’on lui fit lire le scénario du Secret magnifique, réalisé par John Stahl en 1935, pour qu’il en fasse un remake, il fut d’abord accablé par l’impression d’un invraisemblable salmigondis dont il n’y aurait rien à tirer. Il faut dire que le scénario en question adaptait un best-seller de Lloyd Douglas, ancien pasteur dont le but était d’évangéliser les foules par les voies du roman. Sirk se serait alors efforcé d’aimer ce matériau et de voir ce qu’il pourrait en faire à l’écran, y décelant un mélange de « kitsch, de folie et de pacotille » ; il précise : « l’élément de folie est très important, il sauve un matériau tel que Le Secret magnifique ». Dans son film, la figure christique est celle de Dwayne Phillips, le médecin qui sacrificiellement meurt dès le début et, comme il se doit, ne sera jamais visible à l’écran. L’abstraction foncière de ce personnage est équilibrée par la présence corporelle de l’acteur qui interprète le responsable involontaire de sa mort, le massif Rock Hudson, dont Sirk contribue avec ce film à faire une star. Jacques Lourcelles : « Sirk est tout à fait à l’aise dans la description de cet univers providentiel où le malheur et l’amour transforment miraculeusement les êtres, où un personnage meurt pour qu’un autre vive (situation qui lui paraît pleine d’une ironie proche d’Euripide), où la cécité permet une communication intérieure beaucoup plus profonde et plus sûre que celle que connaissent les voyants. » Cette cécité (thème récurrent chez Sirk qui, par une ironie du sort digne de son cinéma, devint lui-même aveugle à la fin de sa vie) donne lieu à certaines des scènes les plus émouvantes du film, mais ce dernier bouleverse aussi par des moyens dramatiques plus discrets : ainsi du moment où Helen Phillips vient d’apprendre la mort de son mari et, de dos, s’éloigne lentement sur la pelouse, face au lac, dans une nature indifférente et superbe, avec pour seule ponctuation visuelle la tache jaune d’un parasol. Jean-François Buiré