Longs adieux
Evguenia Vassilievna élève seule son fils adolescent, Sacha, qu’elle continue de traiter comme un enfant. Après un séjour chez son père, Sacha souhaite rejoindre celui-ci, au grand dam d’Evguenia…
Brèves rencontres et Longs adieux constituent une sorte de diptyque : selon l’expression de Kira Mouratova, ce sont ses « mélodrames provinciaux », empreints à la fois d’ironie et de mélancolie, dans lesquels la dialectique du désir de liberté et de l’égoïsme, chère à la cinéaste, s’exprime pleinement. Peu apprécié par la censure soviétique, Brèves rencontres avait été diffusé de façon confidentielle ; suite à une projection désastreuse dans un club ouvrier, Longs adieux fut, selon l’expression d’usage durant ces années post-Dégel dites de Stagnation, « mis sur l’étagère », et rendu invisible pendant vingt ans. Comme le dit Kira Mouratova dans un entretien, en 1987 : « On a mille fois plus critiqué Longs adieux que Brèves rencontres, ça m’a coûté huit ans d’inactivité forcée. Il y a même eu une Résolution du Comité Central de l’Ukraine contre mon film alors qu’il n’y a pas l’ombre de politique dedans ! Rien qu’une histoire de famille, une atmosphère intimiste. Ils ont dit que c’était « un film bourgeois pourri ». C’est tout. De Brèves rencontres on pouvait encore dire : Ah ah, vous critiquez les autorités locales, la gestion des mairies, vous montrez que les gens vivent dans des taudis, qu’ils fuient les kolkhozes, etc. Du coup, ils l’ont sorti à la sauvette. Pas longtemps, mais sorti quand même. Longs adieux a été purement et simplement interdit. » Comme toujours en art, la « forme » fait au moins aussi scandale que le « fond » : ce film évanescent, qui va d’une dominante blanche vers une obscurité croissante et dans lequel Mouratova s’autorise des audaces typiques de son style (le fait, par exemple, de jouer sur ce relatif interdit du cinéma de fiction qu’est la répétition), en est un bel exemple.
Jean-François Buiré
Kira Mouratova
Farouchement intransigeante, Kira Mouratova a connu le redoutable honneur d’être une des cinéastes les plus censurés de l’ère soviétique, de ses débuts en 1967 jusqu’en 1986, quand débute la Perestroïka et que ses films quittent enfin les étagères où ils avaient été reclus. Et même là, alors que la censure n’existe plus officiellement, elle trouve encore le moyen de manquer de se faire interdire un de ses films. Ce que lui reprochaient tous les pouvoirs ? Moins tant le contenu politique de ses œuvres que son exigence inflexible, son refus de jouer le jeu et de plier l’échine. Mais surtout, la forme unique et radicale de ses films : décadrés, disruptifs dans leur narration, saturés de personnages passionnés, soliloqueurs doux dingues et mélancoliques, baignant dans une bande-son volontiers dissonante, pour ne pas dire cacophonique.
Esprit indépendant, Mouratova a toujours refusé toute forme de récupération idéologique de son travail. Ses films ont su poser un regard intransigeant sur le monde contemporain.
Son style s’impose d’emblée : une vraie liberté de ton, une narration déconstruite à travers une série de flash-back et une franche prédilection pour le décadrage, une mise en scène qui sait être vertigineuse même entre quatre murs ; une tension permanente entre réel et théâtralité.
Eugénie Zvonkine