La Neuvième symphonie
À cause d’une situation financière délicate, Hanna a dû laisser son fils aux soins d’une nourrice pour suivre son mari musicien aux États-Unis. Ce dernier s’étant suicidé, elle retourne en Allemagne…
Les amateurs du cinéma de Detlev Sierck/Douglas Sirk s’accordent à dire que son quatrième long métrage, La Neuvième Symphonie, est son premier film totalement personnel, « une œuvre parfaite qui se suffit à elle-même » selon l’un des grands « sirkiens » français, Jacques Lourcelles : « Sans qu’aucune scène ne cède ni dans son contenu dramatique ni dans sa mise en scène à une quelconque sensiblerie, Sirk peaufine déjà ce qu’on pourrait appeler son lyrisme froid, qui lui permet d’explorer à fond le genre mélodramatique tout en refusant ses excès lacrymaux. » Tourné principalement en intérieurs et en studio au contraire des deux précédents opus de Sierck, le film multiplie les spectacles scéniques dans le spectacle filmique (concert, opéra, petit théâtre d’enfant), avec une grande richesse de détails. (On ne serait pas étonné que le filmage de la représentation de la Neuvième Symphonie de Beethoven ait influencé Hitchcock pour le concert de L’Homme qui en savait trop.) Loin de rabattre le cinéma sur les arts de la scène, ces séquences « spectaculaires » et musicales, qui importent dans l’itinéraire physique, émotionnel et moral des personnages, sont de beaux moments d’intensité cinématographique. Sirk le dira : « J’ai compris que je devais rompre avec mon passé théâtral. (…) À partir de La Neuvième Symphonie, j’ai tenté de construire un style cinématographique. J’ai commencé à comprendre que le plus important au cinéma, c’était la caméra, à cause de l’émotion. Le mouvement c’est l’émotion [« motion is emotion »], chose qui ne s’applique pas au théâtre. » À la musique comme réunion des âmes s’oppose l’illusionnisme manipulateur : à travers la figure du mage Carl-Otto, le film évoque tacitement le sulfureux Erik Jan Hanussen, qui conseilla Hitler à propos des techniques de manipulation des masses. Vers la fin du film, une incertitude est ménagée, par le filmage plutôt que par la lettre de l’intrigue, quant à la possible responsabilité de l’héroïne dans la mort de sa « rivale ». Incertitude d’autant plus troublante que ladite héroïne est par ailleurs donnée comme admirable : exemple, parmi cent autres, de cette ambivalence des personnages que Sirk prisait tant. Jean-François Buiré