La Fille des marais
Jeune servante enceinte de son employeur, Helga renverse les commérages lors d’une confrontation publique avec ce dernier. Elle s’y fait remarquer de Karsten, un fermier promis à sa fiancée Gertrud…
Après son premier long métrage (Avril, Avril !, une comédie « à l’américaine »), Detlef Sierck réalise l’adaptation d’un roman de Selma Lagerlöf, écrivaine suédoise très populaire en Scandinavie et en Allemagne. La Fille des marais s’ouvre par une scène qui n’existe pas dans le livre, aux résonances critiques évidentes : une foire aux servantes, où des fermiers viennent faire leur marché (elle aura son pendant dans Paramatta, bagne de femmes, où les prisonnières doivent défiler dans l’espoir d’attirer un mari). Tourné presque entièrement en extérieurs, le film sort deux ans après l’arrivée des nazis au pouvoir : Bernard Eisenschitz estime que Sierck non seulement y « débarrasse » Hansi Knoteck, l’actrice autrichienne qui interprète le rôle-titre, « de ses minauderies et lui donne l’apparence peu amène d’une domestique paysanne sans communication avec les autres, renfermée dans une résolution fataliste », mais qu’« avec ce personnage peu commun, le cinéaste évite l’écueil de l’idéologie Blut-und-Boden [« sang et sol »] qui domine la fiction paysanne. Il remplit son contrat, réalise un mélodrame qui ne trahit pas le roman et évite le sentimentalisme comme le message pangermaniste et racial. » Au sein d’une population de prime abord homogène (la paysannerie d’une région de tourbières en Allemagne du nord), Sierck sait évoquer, avec nuance et concision, pas moins de trois classes différentes. À propos du recours à l’ellipse temporelle et surtout visuelle, celle d’un meurtre pourtant déterminant dramatiquement, il dira : « Vous devez donner à l’imagination quelque chose sur quoi elle puisse travailler. » Si cette explication constitue en l’occurrence une fausse piste, ce goût de l’ellipse (au-delà de la seule nécessité de faire avancer le récit) se retrouvera dans ses films ultérieurs. Devant certains passages de La Fille des marais, on songe déjà à ce qu’écrira le cinéaste allemand Rainer Werner Fassbinder au sujet des films américains du cinéaste : « Chez Douglas Sirk, les femmes pensent. Ça ne m’est apparu chez aucun metteur en scène. Chez aucun. (…) Il faut voir cela. C’est beau de voir une femme penser. Ça donne de l’espoir. Sincèrement. »
Jean-François Buiré