Escale Cinéma
LUX invite une grande figure de la photographie canadienne : Serge Clément. Depuis plus de 40 ans, il poursuit une recherche tant sur le sujet que sur le support photographique. Il n’a eu de cesse de photographier le paysage urbain, là où se télescopent vivant et bâti, témoignant de la cohabitation difficile et de l’enchevêtrement parfois inextricable entre l’humain et l’urbain.
Serge Clément travaille par séries mais son sujet étant le désordre qu’engendre la ville sur son habitant et l’habitant sur la ville, il eut besoin de les organiser. Il fit le choix du livre photographique, parfois en exemplaire unique, souvent manipulable par quiconque, donnant par là une matérialité à l’image. Surtout, cet usage du livre photographique permit à Serge Clément d’interroger ce qu’une suite d’images peut générer comme narration.
Si la peinture fut bouleversée par la photographie, la littérature fut transformée par le cinéma. Curieux des liens, souvent conflictuels, entre image et récit, entre art et discours, Serge Clément est invité en 2016 par la Cinémathèque québécoise pour une résidence de création. Escale Cinéma, présentée à LUX, est le résultat de deux années de recherches parmi les archives cinématographiques de l’organisme.
Serge Clément visionne plus de 400 films dont il prélève sur chacun d’innombrables images arrêtées, dites photogrammes. Parmi cette somme, parmi les cinémas : le muet, le parlant, le documentaire, la fiction, l’animation, l’expérimental et autres formes. Pensons à Chaplin, Keaton, Bunuel, Antonioni, Godard, Fellini autant qu’à Gilles Groux, à Bela Tarr, autant qu’à Mc Laren, Lipsett, Brakhage, Snow et de nombreux autres. Serge Clément cherche ainsi à documenter sa mémoire cinématographique : « en les revisionnant, une mémoire forte, mais dépourvue d’images précises, accompagnait les films dont le visuel s’était perdu en cours de route ». Autrement dit, que retient-on d’un film : une histoire ? Une ambiance visuelle ? Des émotions ?
Escale Cinéma est la première exposition de Serge Clément où il montre les images d’autres, des images volées au flux filmiques de 16, 24 ou 30 images par seconde. C’est parce qu’il y a cette double transgression que Serge Clément a choisi d’isoler des photogrammes altérés par les procédés de fondu-enchaîné, la dégradation de la pellicule, les artefacts numériques. Il montre ainsi que l’image est frappée d’obsolescence : « la disparition de l’image fait partie intégrante de l’image » affirme-t-il.
En plus des dizaines de photogrammes, aux formats divers, installés aux murs pour initier une narration, Serge Clément complète la reconstitution de sa mémoire cinématographique, et donc de la nôtre, par les projections, de diptyques (aléatoires) et de Myriade. Ce film est un hommage au portrait dans le cinéma qui confirme la déclaration du réalisateur Carl Théos Dreyer : « le cinéma est l’art des visages ». Plus que la peinture. Plus que la littérature. Pascal Thévenet