Paramatta, bagne de femmes
Londres, époque victorienne. La chanteuse de music-hall Gloria Vane se laisse accuser d’un faux en écriture en fait commis par son amant, Sir Albert Finsbury. Elle est condamnée aux travaux forcés à Paramatta, en Australie, où l’oublieux Finsbury a été muté comme aide de camp
du gouverneur, et s’est fiancé à sa fille…
Le titre original, Zu neuen Ufern (Vers de nouveaux rivages) n’a pas le côté sensationnaliste du titre français ; jamais le parfait gentleman qu’était Detlev Sierck ne se serait laissé aller à quelque complaisance érotique de mauvais aloi, pourtant d’usage dans les « films de prison de femmes ». (Le thème de la femme emprisonnée, littéralement ou métaphoriquement, se retrouve dans plusieurs de ses films, dont La Habanera et Tout ce que le ciel permet.) L’eût-il voulu qu’il en aurait été empêché par la personnalité de celle dont, avec ce film, il fut chargé de faire la star qui manquait au cinéma allemand : Zarah Leander, beauté mélancolique à la voix grave, incapable de vulgarité même lorsque, dans Paramatta, elle chante « Yes, Sir ! », revendication légère mais ferme d’une liberté sexuelle féminine. Dans la scène, terrible autant que risible, du défilé des prisonnières qui tentent d’échapper à leur sort en s’attirant un mari, le rejet du clin d’œil égrillard est comme mis en abyme. Revenant sur son œuvre, le cinéaste insistera sur l’étymologie du mot « mélodrame » — littéralement, drame musical —, mais précisera que la chanson, dans le présent film, est utilisée d’une manière proche des récitatifs de Bertolt Brecht et de son compositeur Kurt Weill, particulièrement dans L’Opéra de quat’ sous (qu’il avait mis en scène au théâtre) : une façon de jouer à la fois sur l’émotion, la distanciation et, parfois, le grotesque, comme lorsqu’une chanteuse des rues commente, sur un mode trivial et imagé, le calvaire des femmes envoyées au bagne de Paramatta. De ce film, Sirk retenait aussi le personnage de Finsbury, membre éminent d’une galerie de personnages masculins faibles, hésitants mais dignes par sursauts, qu’il mit en scène tout au long de son œuvre. Enfin, comme dans le cas de La Neuvième Symphonie, on peut se demander si Paramatta, bagne de femmes, qui fut un grand succès, n’eut pas une influence sur Alfred Hitchcock : celui, en l’occurrence, des Amants du Capricorne.
Jean-François Buiré